Je sors de ce déjeuner tout abasourdi. Cela devait être un repas frugal pour fêter, comme il se doit, la certification de l’entreprise de mon collègue. J’ai eu la chance de les accompagner dans ce projet qui a mobilisé beaucoup d’énergie en interne. Des troupes motivées, la création d’une véritable dynamique collective autour de ce projet, un objectif à atteindre avec une échéance plutôt courte mais qui représentait un véritable challenge pour l’organisation. Mon collègue (que je vais dénommé Olivier pour l’occasion), CEO de ce cabinet de conseils et formation d’une quinzaine de personnes attendait l’audit de certification comme une véritable occasion d’être challengé. Il était prêt à affronter (dans le bons sens du terme) l’auditeur externe. Sportif dans l’âme il attendait avec impatience cette confrontation. Tout était réglé, il était dans les « starting block » pour le grand rendez-vous ….
» J’ai vécu la journée la plus longue de ma vie professionnelle «
Après avoir échangé sur différents sujets au cours de ce repas, Olivier prononce la phrase fatidique « j’ai vécu la journée la plus longue de ma vie professionnelle ». Certes, cette phrase, resituée, dans son contexte, était une boutade mais qui exprimait en réalité tout son étonnement sur le déroulement de cet audit de certification. Il pensait qu’il allait être challengé sur la « robustesse » de ses processus. Il était d’ailleurs en attente de ce regard extérieur pour vérifier la maîtrise de son organisation. Au fur et à mesure de notre discussion, je comprends mieux le sens de sa réaction. Cet auditeur, au demeurant fort sympathique, était dans une logique de « complaisance ». Il adorait parlé de lui, il avait autour de lui tout un auditoire qui était à l’écoute de son parcours professionnel, de ses exploits, de ses connaissances, … Il se sentait bien au milieu de ce public attentionné. Olivier, regardait en permanence sa montre, le temps lui paraissait long. Quelques bonnes remarques de l’auditeur le ramenaient de temps en temps dans l’audit. Il avait les plus grandes difficultés à rester dans la salle. Il ne voulait pas décrocher. Il était physiquement présent mais intellectuellement absent. L’univers de cet auditeur n’était pas en phase avec ses préoccupations. Il vivait un véritable décalage culturel. … Le moment de la restitution arrive, olivier retrouve le sourire « vous êtes certifiés ». L’objectif est atteint, il en oubliait presque sa mésaventure sur le déroulement de l’audit, et pourtant ….
Et pourtant cette situation est dramatique. Voilà un nouveau « patron » qui possède désormais une mauvaise image de la certification. Il a été déçu de ne pas être challengé (dans le bons sens du terme) lors de cet audit. A l’inverse, Olivier a été content de ne pas tomber sur le « pinailleur de service » l’auditeur qui est encore dans la logique « du point virgule ». Celui qui est capable de tenir de très longues minutes sur une marotte qu’il affectionne tout particulièrement. Ce « fétichisme » correspond bien souvent à une volonté de rester, pour ce type d’auditeur, dans sa zone de confort. L’objectif étant d’amener l’audité dans sa cour de jeu pour initier un débat d’expert sur des compréhensions normatives. A ce jeu là, c’est toujours l’auditeur qui en sort « vainqueur » mais pas grandit … la nuance est subtile mais importante. Embarquer les audités dans son territoire est une approche erronée. C’est exactement la démarche inverse qui doit être pratiquée. C’est à l’auditeur d’être embarqué dans le territoire de l’organisation afin de pouvoir en évaluer la conformité, son efficacité et sa performance. C’est l’entreprise qui prime sur la norme et non l’inverse.
Cette expérience m’interpelle aujourd’hui sur le rôle des auditeurs externes. Il ne s’agit en aucun de cas de stigmatiser une profession mais tout simplement de s’interroger sur les compétences nécessaires pour exercer ce métier. Comme bien souvent, les connaissances priment sur les comportements. Les auditeurs sont excellents dans la maîtrise des référentiels audités. Aucune remarque, aucune critique en la matière. Ils sont de véritables experts. Et c’est peut-être là que le bas blesse. A trop connaître le « texte » on risque d’en oublier le sens et le caractère opérationnel. Le risque est grand de s’intéresser à une exigence de la norme et d’en faire une véritable marotte. Une récurrence qui fonctionne à coup sur dans toutes les organisations. Le libellé de l’écart est parfaitement maîtrisé par les auditeurs qui pratiquent
La principale difficulté est souvent la capacité d’auditer en intégrant le fonctionnement et la culture de l’entreprise. Un « bon auditeur » doit être en mesure de relever des constats qui soient en phase avec le contexte et les enjeux de l’organisation. Il doit être pertinent dans ses observations pour que celles-ci soient source de progrès continu. Pour atteindre un tel objectif, l’auditeur externe doit avoir une capacité d’analyse lui permettant de comprendre l’organisation pour en détecter des points clés qui seront utiles pour progresser. Le même constat dans deux organisations différentes n’aura pas forcément les mêmes conséquentes.
Ainsi, cette petite « mésaventure » vécue par mon ami Olivier témoigne de la nécessité pour ne pas dire de l’urgence, à ce que tout un « microcosme » prenne réellement conscience de l’impact de leurs audits dans les organisations. Une attitude trop laxiste créée de la frustration pour les équipes en générant des réflexions de type « Tout ce travail pour ça ! ». Au contraire, une approche basée uniquement sur le l’expertise normative n’est pas constructive car chaque marotte peut vite tourner à l’obsession. Aujourd’hui, les organisations conservent un réel besoin d’audit pour leur donner un cadre dans leur transformation. L’audit doit être perçu comme une aide dans cette démarche pour s’assurer de la maîtrise des activités en mouvement. L’auditeur doit être ainsi un véritable détecteur « de risques » à valeur ajoutée pour l’organisation. Une telle métamorphose permettra certainement de donner un autre regard de la certification.